arpoma l'art par la musique
        lundi 22 décembre 2025 - 21h25
menu / actu

liste / rep

atlas / rech
(275 sur 871)   (liste)
◀◀         (275 sur 871)         ►►


























(grand format)   (taille reelle) (loupe: alt+cmd+8)
HONNI SOIT QUI MAL Y PENSE, Henry Koster 1947, Cary Grant, Loretta Young et David Niven (comique)@@

Préoccupé par des problèmes de trésorie qui l'empêchent de construire une nouvelle cathédrale, l'évèque anglican Henry Brougham cherche le salut dans la prière. Un ange facétieux appelé Dudley se matérialise pour voler au secours d'Henry. Mais lorsque Dudley tombe amoureux de la femme de l'évèque, la charité monte au nez d'Henry !

TELERAMA
Qui ne connaît pas “Sept Ans de réflexion”, “Certains l’aiment chaud” ou encore “Sabrina” ? Leur auteur, Billy Wilder, un des cinéastes les plus célèbres du monde, excellait en matière de manipulations. De ses personnages et du spectateur. La Cinémathèque française, à Paris, lui rend hommage jusqu’au 8 février.

Par Pierre Murat

Il était exigeant avec lui-même. Et impitoyable avec les autres – ses comédiens, surtout. Sur le tournage de Fedora (1978), si Marthe Keller modifie d’une fraction de seconde le temps entre deux répliques, si elle dévie d’un centimètre la hauteur d’un gant sur son visage, il lui fait recommencer la scène. Des dizaines de fois. Et lorsque, cassée, elle s’épanche auprès de son partenaire, William Holden lui murmure : « Je sais, je sais, il est terrible. Mais chaque fois que ce salopard me dirige, je suis nommé à l’Oscar ! »

C’est à ce « salopard » que la Cinémathèque française rend hommage, jusqu’au 8 février. L’un des cinéastes les plus célèbres du monde, au demeurant. L’un des plus cultivés – c’est une rareté pour l’époque. L’un des plus audacieux aussi, qui n’a eu de cesse de mettre à mal la bêtise et la vulgarité dans une suite de films dont les titres restent familiers à ceux qui s’intéressent un tant soit peu au cinéma :  Assurance sur la mort, Boulevard du Crépuscule, Sept Ans de réflexion, Certains l’aiment chaud, La Garçonnière, La Vie privée de Sherlock Holmes, Avanti !…

Dès son premier long métrage, le jeune Billy (il a adopté ce surnom par amour pour sa mère, fan éperdue de Billy the Kid !) dévoile son goût pour les manipulations et les jeux de dupes. Il le tourne en exil à Paris, en 1934, après avoir été journaliste, gigolo (!) et scénariste. Dans Mauvaise Graine (coréalisé par Alexandre Esway), un vieux beau drague une lumineuse jeune fille qui se révèle, ô surprise, l’égérie d’un gang de jeunes escrocs spécialisé dans le vol de voitures. Envolée, sa belle décapotable… Brève rencontre, hélas, sans suite, entre Billy et Danielle Darrieux, presque débutante : les deux deviendront bientôt des stars, elle en France, lui en Amérique…


“Assurance sur la mort” (“Double Indemnity”), 1944. Avec Dick Rush, Edmund Cobb et Barbara Stanwyck. Prod DB © Paramount Pictures

Hollywood n’affaiblit pas l’insolence de cet émigré, né en 1906 dans une petite ville de l’actuelle Pologne, qui a grandi en Allemagne et l’a fuie à l’avènement du nazisme. C’est qu’il y travaille avec Ernst Lubitsch, le maître des élégances et des ambiguïtés –  son « seul dieu », dira-t-il. C’est le jeune Wilder, qui, sur Ninotchka (1940), avec Garbo, lui trouve la réplique extraordinaire qui résume l’atrocité, encore largement ignorée, de la dictature stalinienne : « Les nouvelles de Moscou sont excellentes. Les derniers procès ont été des réussites : il y aura moins de Russes, mais ils seront meilleurs… »


“Boulevard du Crépuscule” (“Sunset Boulevard”),1950. Billy Wilder, Gloria Swanson et Erich von Stroheim sur le tournage. Prod DB © Paramount

Lorsque le studio qui l’emploie – la Paramount – l’autorise à devenir réalisateur, il choisit une histoire dont on se demande, aujourd’hui encore, comment la censure de l’époque a pu l’agréer. Brièvement résumé, Uniformes et jupons courts (1942) raconte la rencontre, dans un train de nuit, d’un militaire irréprochable et d’une fillette de 13 ans pour qui il semble éprouver, soudain, des sentiments plus sensuels que paternels… Honni soit qui mal y pense : la gamine est en fait Ginger Rogers, qui s’est déguisée en préadolescente pour bénéficier d’un billet à demi-tarif. Mais le spectateur, et Ginger Rogers ! s’amusent du trouble grandissant de l’Américain moyen, terrifié par les zones troubles qu’il devine en lui.


“Certains l’aiment chaud” (“Some like it hot”), 1959. Jack Lemmon, Marilyn Monroe et Billy Wilder sur le tournage. Prod DB © 20th Century Fox

Ce film va déterminer la carrière de Billy Wilder. Un peu comme Joseph L. Mankiewicz, futur auteur d’Eve, de La Comtesse aux pieds nus et de L’Affaire Cicéron – un esthète comme lui –, il se fera le peintre, parfois cynique, des mœurs américaines. Mais d’un fait divers comme il y en a tant – un couple d’amants qui veut se débarrasser du mari –, il fait une tragédie et l’un des plus grands polars de l’histoire du cinéma :  Assurance sur la mort (1944). Pour Le Poison (1945), en revanche, sur les ravages de l’alcoolisme, il imagine une intrigue réaliste qu’il tourne quasiment comme un documentaire : un reportage comme aurait pu l’écrire le journaliste qu’il était à ses débuts. Ses ex-confrères, il ne les aime pas tant que ça, si l’on en juge par le pisse-copie sans scrupules (Kirk Douglas) qui profite de la chute d’un ouvrier dans une fosse d’où il ne peut s’extraire pour organiser un grand barnum médiatique. Et l’on ne sait trop, dans Le Gouffre aux chimères (1951), qui est le plus méprisable : le public voyeur qui campe pour observer la mort en direct ou l’organisateur du show, qui déclare sans sourciller : « Cent, deux cent mille victimes, les gens s’en lassent vite. Une seule les bouleverse, l’effet humain joue à plein… »

Richard C. Miller/Donaldson Collection/Getty Images
“Audrey Hepburn ? Elle va réussir à rendre les seins totalement démodés !”
Wilder est tout sauf romantique. On peut donc s’étonner de le voir, par deux fois, filmer des contes de fées. Mais, une fois encore, il s’agit d’un jeu de dupes. Le cinéaste se sert d’Audrey Hepburn, qu’il adore, dont il dit avec son humour ravageur : « Cette fille va réussir à rendre les seins totalement démodés », pour insuffler à ses deux scénarios une magie factice. Sabrina (1954) est, en fait, le récit, très acide, d’une ascension sociale (la fille d’un garagiste finit par épouser un industriel riche qu’elle n’a jamais aimé). Et Ariane (1957) –  le plus « lubitschien » de ses films – ne  repose que sur une imposture amoureuse : parce qu’elle a joué les libertines, une ingénue finit par emballer un vieux fêtard qu’elle a admiré, comme une midinette, dans les pages « people » d’un magazine de luxe… Jeu de dupes, encore et toujours.

Qui culmine dans deux splendeurs, qui vont conduire Billy Wilder de la gloire à l’opprobre. A Hollywood encore plus qu’ailleurs, le Capitole est proche de la roche Tarpéienne… En 1959, Certains l’aiment chaud symbolise le triomphe de sa vision du monde :  une imposture absolue. Les deux héros s’y travestissent pour mieux infiltrer un orchestre féminin. Tony Curtis joue les impuissants pour séduire Marilyn. Et Jack Lemmon, alias Daphné, devient, en fille, ce qu’il n’a jamais été en homme : un objet sexuel qui se fait pincer les fesses dans un ascenseur par un groom (« Je ne suis même pas jolie », fulmine-t-il) et demander en mariage par un milliardaire qui, découvrant sa virilité, lui lance une réplique devenue immortelle : « Personne n’est parfait ! »… Succès mondial (mais un seul oscar : celui des costumes). Wilder est au pinacle…

Cinq ans plus tard, il n’est plus rien. La faute à un film qu’il a voulu adapter d’une pièce italienne (jouée à Paris dans les années 1950 sous le titre L’Heure éblouissante). Où, c’est vrai, il n’y va pas de main morte. Jusque-là, il s’était attaqué à la tentation de l’adultère (Sept Ans de réflexion, 1955), aux mœurs du capitalisme (La Garçonnière, 1960) et à la mainmise de Coca-Cola sur les esprits et les corps (Un, deux, trois, 1961). Ici, c’est à la famille qu’il s’en prend –  autant dire à l’âme de la nation… Embrasse-moi, idiot raconte l’absurde machination d’un compositeur jaloux faisant passer une prostituée pour sa femme légitime auprès d’un crooner, sexuellement obsédé, à qui il veut vendre une chanson. A lui seul, cet argument est déjà difficilement supportable pour une Amérique encore puritaine. Le pire est à venir : à la suite d’un quiproquo, l’épouse – irréprochable, comme toute femme américaine qui se respecte –  passe une nuit sexuellement enchanteresse avec celui dont son mari voulait la protéger. Sans en éprouver ni remords, ni regret…

Là, c’en est trop ! « Une œuvre répugnante d’un réalisme totalement repoussant, tant sur le plan éthique qu’esthétique », tonne la Catholic Legion of Decency. Prêtres et prédicateurs exhortent leurs ouailles à boycotter l’œuvre diabolique. Des groupes de bons citoyens organisent des pétitions pour la retirer des écrans de leur ville. Des organisations féminines en rajoutent :  Kim Novak, menacée de mort pour avoir osé interpréter une prostituée endossant le rôle d’une honnête femme, s’exile quelques mois : « J’ignore si je pourrai travailler à nouveau », dit-elle, devant le scandale qui s’éternise… Wilder, rejeté par les studios qui ne juraient que par lui, aura désormais du mal à faire aboutir ses projets, d’autant que La Grande Combine (1966), La Vie privée de Sherlock Holmes (1970) et Avanti ! (1972) seront des bides critiques et publics. C’est en Allemagne qu’il trouvera l’argent pour réaliser son dernier chef-d’œuvre, en 1978 : Fedora.

Pour définir l’œuvre du cinéaste, il faudrait paraphraser la célèbre formule de Stendhal : « Un roman est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. » C’est ce qu’a toujours fait sa caméra, pour mieux dévoiler les beautés d’un pays qu’il chérissait pour l’avoir recueilli, lui, l’émigrant, mais aussi ses failles, ses vices et ses tourments.  Son arme numéro un ? L’ironie : une causticité virulente, parfois méchante, mais jamais mauvaise. Ses cibles ? La stupidité, l’ignorance. Et la crédulité, source de tant de maux, qu’il met en pièces dans ses farces ou ses drames à la verve incomparable. « Ah ! vous croyez vraiment en l’existence du monstre du loch Ness ? En bien, je vais vous expliquer ce qu’il en est vraiment. » Et Billy tourne La Vie privée de Sherlock Holmes. « Ah ! vous êtes suffisamment naïfs pour espérer une jeunesse éternelle ?  Eh bien, je vais vous dévoiler le dessous des cartes. » Et il réalise Fedora…

Ses films sont donc des bouées de sauvetage. Des bouffées d’oxygène. Des brevets d’intelligence. Ils exigent de nous un œil vif, toujours aux aguets. Et un esprit libre, capable d’éclairer pour mieux les anéantir les manipulateurs, les illusionnistes et les faux prophètes. C’est dire qu’en un temps où pullulent les « infox », à une époque qui ne fait plus confiance à personne, mais croit à tout et n’importe quoi, Billy Wilder, décédé en 2002, à l’âge de 95 ans, reste utile, nécessaire et indispensable. Comme le gardien de notre santé physique et mentale.