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LE CHATEAU AMBULANT, Hayao Miyazaki 2004, (animation japon)@@

La jeune Sophie, 18 ans, travaille inlassablement dans la chapellerie autrefois tenue par son père, malheureusement décédé. Résignée à son sort, c'est lors de l'une de ses rares sorties en ville qu'elle fait la rencontre du beau Hauru, un mystérieux magicien. Cependant, la sorcière des Landes, jalouse, se méprend sur leur relation et jette un sort à Sophie, la transformant en vieille dame. Accablée par sa nouvelle apparence, Sophie s'enfuit dans les montagnes et tombe sur la demeure de Hauru.

TELERAMA
Une jeune femme, Sophie, est transformée en octogénaire par une sorcière jalouse de l’avoir vue avec le garçon qu’elle convoite : Hauru. Tout le génie de Miyazaki est concentré dans cette fable surréaliste qui détourne manga et conte de fées.

Grinçant, crachant, soufflant, cahotant, il fait trembler le sol et obscurcit l’azur. Le château ambulant est un géant aux allures de poulet subclaquant, une machinerie infernale, délire de rouages et de coursives, de trappes, de valves et de boulons. Cet objet étrange et magique est, à proprement parler, le moteur du dessin animé : un curieux et excitant principe de mouvement, un puissant véhicule narratif. Ce château grotesque et grandiose, demeure de Hauru, dandy magicien, s’ouvre à volonté sur des lieux différents : des rues paisibles, des places orgueilleuses ou des mondes oniriques. Un dispositif qui permet à Hayao Miyazaki de construire, à partir de ce centre, un récit en étoile, un carrefour fantasmagorique d’une extraordinaire richesse, façon Alice au pays des merveilles.

Le conte, adapté d’un roman anglais de Diana Wynne Jones, semble en contenir mille autres. Une petite demoiselle, Sophie, modiste modeste, croise fugitivement dans la rue un drôle de prince charmant, gandin fragile et malicieux vêtu comme une pop star des années 1970. C’est Hauru, que convoite l’effrayante sorcière des Landes. Jalouse, la monstrueuse virago jette un sort particulièrement rosse à sa rivale : le temps d’un souffle, Sophie se retrouve transformée en octogénaire. Bon an, mal an, percluse de rhumatismes, mais l’esprit toujours pétillant, la « vieille » première se met à la recherche d’Hauru et de son antre. L’y attendent une foule d’aventures et de personnages : il y a Calcifer, le démon du feu, prisonnier facétieux de l’âtre du château, dont l’âme est mystérieusement mêlée à celle de Hauru… Il y a Marko, le petit apprenti ; Navet, l’épouvantail ; Suliman, la terrible magicienne… Et puis le beau Hauru, qui ébauche avec la fausse aïeule une étrange et touchante histoire d’amour et qui, comme son château, est multiple : nom, apparence, tout est mouvant chez lui.

De l’audace, partout
Chaque personnage semble ainsi recéler une identité gigogne, un peu comme Miyazaki lui-même, qui a glissé son propre univers dans le récit de quelqu’un d’autre : le royaume d’opérette où se situe l’action, sorte de pâtisserie autrichienne irréelle, rappelle la ville rêvée de Kiki la petite sorcière. Les machines volantes qui troublent son ciel évoquent tour à tour Porco Rosso et Le Château dans le ciel. Et les ectoplasmes noirs qui servent la sorcière des Landes paraissent échappés de la faune mythologique du Voyage de Chihiro. Le Château ambulant semble ainsi concentrer toute l’oeuvre du maître japonais, parade somptueuse de ses créatures chimériques et ambiguës, de ses fantasmes d’apesanteur et d’univers parallèles, de ses hantises… La guerre fait rage autour de Sophie et Hauru, absurde et destructrice, comme celle qui dévora la forêt de Princesse Mononoké ou la civilisation ancienne du Château dans le ciel.

Répétés comme des incantations poétiques, ces motifs familiers n’induisent pourtant aucun sentiment de déjà-vu. Jamais un dessin animé n’a évoqué la vieillesse, par exemple, avec une telle poésie, une telle tendresse goguenarde. L’audace est partout, juxtaposant les séquences burlesques (un chien espion aux allures de Droopy magicien) avec la violence onirique d’une bataille aérienne. Miyazaki subvertit allègrement les clichés du conte de fées. Qui d’autre ferait de son séduisant héros un paumé se couvrant, quand il est déprimé, d’un immonde liquide verdâtre ? L’amour qui lie le magicien à Sophie est, lui aussi, aux antipodes de toute mièvrerie disneyenne. Mi-grand-mère, mi-petite amoureuse, elle insuffle à Hauru l’énergie, la foi qui lui manquaient. On flotte sans cesse entre poésie surréaliste, conte sentimental et pépites de cruauté insolites - ainsi, cette scène désopilante et féroce où l’énorme sorcière des Landes doit monter, à pied, les milliers de marches du palais royal, et qui dépérit à vue d’oeil.

Fluide, débordant de trouvailles ébouriffantes, entre l’esthétique rétro-futuriste des machines et la limpidité des paysages, le dessin est, comme toujours, à la hauteur du récit. L’imagination y déborde sur le trait, dans le style inimitable de Miyazaki, jouant des codes du manga pour mieux se les approprier et les magnifier. Si ce chef-d’oeuvre aux couleurs irréelles peut parfois dérouter, il promet un voyage inoubliable.